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Santé

Maladie de Parkinson : quand les traitements modifient les pulsions sexuelles

De nombreux patients recevant un traitement pour cette grave affection neurologique manifestent un désir sexuel incontrôlable. L'ampleur de cet effet secondaire aurait été sous-estimée, selon une étude française.

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Parkinson

Certains traitements anti-Parkinson peuvent modifier le contrôle des impulsions dans le cerveau.

©SUPERSTOCK/SIPA

NUMÉRIQUE. Cet article est extrait du magazine Sciences et Avenir en vente en kiosque en juillet 2015. Voir aussi l'encadré en bas de l'article.

 

PARKINSON. Leur entourage ne cessait de se plaindre. À force d'entendre ces témoignages douloureux, le Dr Pierre Grandgenèvre, psychiatre au CHRU de Lille, a voulu en avoir le cœur net : certains patients recevant un traitement pour la maladie de Parkinson présentaient-ils réellement une hypersexualité ? Un vrai tabou qu’il fallait briser. Le psychiatre a donc décidé d’en parler directement avec les malades, afin de mieux comprendre les conséquences psychologiques de leur traitement. Sept patients, adressés par le service de neurologie pour suspicion d’une modification de comportement, ont alors accepté de se confier à lui, la plupart en présence de leur compagne. Et malgré ce faible effectif, le résultat, publié en mars 2015 dans la revue La Presse médicale, est éloquent ! Il a permis de préciser l’ampleur du trouble et les différentes manifestations qu’il peut revêtir. "Nous avions sous-estimé son impact pour l’épouse ! Probablement du fait que ce changement est généralement minimisé voire nié par le patient", indique l’expert.

Des viols conjugaux dus au traitement

Or, les conséquences peuvent être dramatiques, comme pour Françoise, mariée depuis 47 ans à un malade de 69 ans. Son mari « dormait avec un couteau au milieu du lit et s’en servait comme moyen de pression en menaçant de la tuer puis de se suicider si elle repoussait ses demandes », raconte Pierre Grandgenèvre. Violée à plusieurs reprises, constamment sur ses gardes, elle allait parfois jusqu’à s’enfermer pour se protéger. De même Romane "en perpétuel conflit avec son mari dont le comportement avait changé à la mise en route du traitement. Il était persuadé qu’elle le trompait parce qu’elle refusait ses demandes incessantes. La situation était devenue telle qu’elle le menaçait de porter plainte", poursuit le psychiatre.

Certes, l’hypersexualité associée au traitement antiparkinsonien n’est pas une découverte pour les médecins. C’est l’ampleur du phénomène que l’étude française a permis de révéler. "Selon les travaux les plus récents, la proportion de malades concernés oscille entre 2,6 et 7,2 % des patients atteints de maladie de Parkinson, mais ce sont des chiffres probablement sous-estimés", affirme Pierre Grandgenèvre.

Des molécules pour combler le déficit en dopamine

Pour comprendre les raisons de l’apparition de cet effet secondaire, il faut rappeler la nature de la maladie de Parkinson. Elle est associée à la perte progressive des neurones dits dopaminergiques, chargés de produire la dopamine, un neurotransmetteur. Conséquence : le taux de dopamine chute dans des régions du cerveau impliquées dans le contrôle des mouvements, d’où des troubles moteurs (lire l’encadré ci-dessous). Pour compenser ce déficit, deux traitements sont possibles : apporter de la L-dopa, une molécule convertie en dopamine dans le système nerveux central, ou administrer des agonistes dopaminergiques, des molécules dont la structure est proche de celle de la dopamine. L’effet de ces derniers est similaire à celui la L-dopa mais leur durée d’action est plus longue. Par ailleurs, le risque de mouvements incontrôlés (dyskinésies) est moindre, ce qui explique qu’ils soient habituellement prescrits en première intention. "Or de récentes études montrent que 15 % des patients recevant un agoniste dopaminergique présentent un trouble du contrôle des impulsions (TCI), mais, là encore, ce chiffre est sous-estimé. Il se situe probablement autour de 20 %", note le Pr Luc Defebvre, du Centre expert Parkinson du CHRU de Lille et professeur à l’université de Lille.

Comment certains traitement peuvent modifier le contrôle des impulsions :

Les principales cibles des divers agonistes dopaminergiques, médicament utilisés dans le traitement de la maladie de Parkinson sont les récepteurs à la dopamine (D2 et D3) situés dans différentes zones du cerveau. Les récepteurs D2 sont nombreux dans des structures impliquées dans la motricité alors que les D3 sont également exprimés dans d'autres régions, notamment le système limbique. Or ce dernier joue un rôle important dans les émotions et le plaisir. Ainsi, "plus un agoniste se fixe au récepteur D3 par rapport au D2, plus le risque de présenter un trouble du contrôle des impulsions (TCI) est important", souligne le Dr Philip Seeman (Toronto, Canada).



La dopamine exerce ses effets en se fixant sur des neurones qui envoient des prolongements à distance. On parle de "projections dopaminergiques". L'une d'elles constitue la voie méso-cortico-limbique. Ce réseau neural est impliqué dans le "système de la récompense", dont la stimulation par des substances psychoactives (héroïne, cocaïne, cannabis, alcool) s'accompagne d'une augmentation de la libération de dopamine. Le TCI pourrait être la conséquence d'une stimulation excessive par les agonistesdes récepteurs D3, ce qui libérerait les mécanismes inhibiteurs des comportements à risque tout en stimulant des circuits impliqués dans la recherche d'une récompense.

Le rôle d’une prédisposition génétique

Car l’hypersexualité (3,5 % de ces cas) n’est pas l’unique TCI provoqué par le traitement : sont également répertoriés l’addiction aux jeux d’argent (5 %), les achats compulsifs (5,7 %) ou la boulimie (4,3 %), 3,9 % des patients en présentant d’ailleurs plusieurs. Et la dose ne fait pas tout. Même si la probabilité de développer une hypersexualité est plus grande lorsque le patient reçoit des doses élevées d’agoniste, des malades prenant de faibles doses ont également été atteints. Ce constat pose d’ailleurs la question de la prédisposition génétique. Il se pourrait que de minimes variations dans la séquence ADN de certains gènes — celui gouvernant la synthèse de la protéine SLCA2 impliquée dans le transport de la dopamine au niveau synaptique (zone de contact entre neurones) ou celui du récepteur dopaminergique D2 — influent sur le mode d’action de la dopamine.

Alors, que faire ? Une prise en  charge spécialisée est nécessaire, estiment de plus en plus de spécialistes. D’autant que certains patients, au Canada, aux États-Unis, en Australie et en France ont commencé à intenter des procès à des firmes pharmaceutiques. "Il ne s’agit en aucun cas de diaboliser le traitement par agoniste dopaminergique qui apporte un réel bénéfice sur le plan moteur. Mais de traiter l’hypersexualité, parfois dans l’urgence", estime le Pr Defebvre. D’abord, identifier le trouble. Pas si facile car il n’existe aucun critère diagnostique précis. Prendre en compte le nombre de rapports sexuels ne suffit pas. La situation ne devient pathologique que lorsque le désir sexuel est devenu incontrôlable et que les modifications du comportement sont telles qu’elles perturbent toute la vie familiale ou sociale. À lui seul, le témoignage du patient n’est pas suffisant.

Très peu de cas dénombrés chez les femmes

D’autant que cet effet secondaire "peut débuter plusieurs mois avant d’être évoqué par les malades ou l’entourage. Il importe donc de sensibiliser les médecins généralistes, neurologues et psychiatres qui doivent oser poser des questions, même si cela peut être délicat lorsque l’on est en présence de personnes âgées, en l’occurrence 9 fois sur 10, des hommes". Très rares sont en effet les cas concernant de femmes, même s'ils existent. Le Pr Luc Defebvre signale ainsi "celui d’une quinquagénaire qui, à force de multiplier les partenaires, avait fini par quasiment se prostituer". Lors des consultations, il est donc indispensable que le conjoint du malade soit présent afi n que ce trouble soit repéré précocement et que soit proposée une stratégie de soins adaptée. Habituellement, la réduction des doses d’agoniste permet une diminution significative ou une disparition du trouble. En cas de danger, c’est même l’arrêt du traitement qui peut s’imposer. Lorsque les troubles moteurs s’aggravent, la règle est alors d’instaurer un traitement par L-dopa qui comporte un moindre risque de TCI. Et dans les rares cas où l'hypersexualité persiste, l'utilisation d’un neuroleptique (clozapine) est une option envisagée.

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