Par les temps qui courent, le sexe devrait avoir le vent en poupe.

Un pourcentage record d’Américains estime que le sexe entre adultes non mariés n’est “pas du tout condamnable”. Le nombre de nouveaux cas de contamination par le VIH n’a jamais été si bas. La plupart des femmes ont – enfin – accès à une contraception gratuite et à la pilule du lendemain sans ordonnance.

Si vous aimez les coups d’un soir, les applications Grindr et Tinder permettent de trouver un partenaire dans l’heure. La phrase “Si quelque chose existe, il y en a forcément une version porno” est aujourd’hui un lieu commun. Les pratiques BDSM (Bondage, discipline, sado-masochisme) s’affichent au cinéma du coin. Mais pourquoi sortir puisqu’on peut voir des scènes de sexe, souvent très crues, en première partie de soirée sur les chaines du câble. Envoyer des sextos est, d’un point de vue statistique, normal.

Tolérance totale

Polyamour est un mot courant. Les termes un peu honteux comme perversion ont été abandonnés au profit de mots plus enjoués comme coquin. Les rapports anaux ne sont plus l’ultime tabou mais la “cinquième base” [selon la métaphore américaine du baseball, la première étant de s’embrasser avec la langue et la troisième les rapports bucco-génitaux]. Le magazine pour ados Teen Vogue a même publié un dossier sur la question. À l’exception peut-être de l’inceste et de la zoophilie – et bien sûr des relations non consenties – notre culture n’a jamais été si tolérante envers le sexe sous toutes ses formes.

Et pourtant, aux États-Unis, la vie sexuelle des adolescents et des jeunes adultes est en berne.

Au grand soulagement de nombreux parents, éducateurs et ecclésiastiques, les adolescents commencent leur vie sexuelle plus tardivement. Entre 1991 et 2017, d’après l’enquête sur les comportements à risque des jeunes réalisée par les Centres américains de prévention et de lutte contre les maladies (CDC), le pourcentage d’adolescents âgés de 14 à 18 ans ayant eu des rapports sexuels est passé de 54 % à 40 %. Autrement dit, en l’espace d’une génération, ce n’est plus une majorité mais une minorité de lycéens qui a des rapports sexuels. (Et non ils ne sont pas plus nombreux à avoir des rapports bucco-génitaux.)

Pendant ce temps, le taux de grossesses adolescentes aux États-Unis a chuté de 30 %. Quand la baisse s’est amorcée, au début des années 1990, tout le monde s’en est félicité (à juste titre). Mais aujourd’hui, certains observateurs se demandent si ce phénomène, positif à tous égards, ne serait pas lié à des évolutions moins saines. Plusieurs facteurs portent à croire que le commencement plus tardif de la vie sexuelle chez les ados est en réalité le premier indice d’un évitement plus global de l’intimité physique qui se prolonge à l’âge adulte.

Depuis quelques années, Jean M. Twenge, professeure de psychologie à l’Université d’Etat de San Diego, publie des recherches visant à expliquer pourquoi la vie sexuelle des Américains est en déclin. Dans une série d’articles scientifiques et dans son dernier livre, Génération Internet [traduction française parue en septembre 2018, Éd. Mardaga], elle note que les jeunes adultes d’aujourd’hui sont bien partis pour avoir moins de partenaires sexuels que les membres des deux générations précédentes.

Les Américains nés à la toute fin des années 1990 ont 2,5 fois plus de chance de pratiquer l’abstinence sexuelle que les membres de la Génération X [nés entre les années 1960 et le début des années 1980] au même âge ; 15 % déclarent n’avoir jamais eu de rapport sexuel depuis l’entrée dans l’âge adulte.

Il est aussi possible que la Génération X et celle du Baby-Boom aient moins de rapports sexuels que les générations précédentes au même âge. Entre la fin des années 1990 et 2014, selon Jean Twenge, le nombre de rapports par an chez l’adulte moyen est passé de 62 à 54. À l’échelle individuelle, on ne se rend peut-être compte de rien, mais au niveau national, ça finit par s’accumuler.

Parmi tous les spécialistes que j’ai interrogés pour cet article, aucun n’a réellement contesté l’idée que le jeune adulte moyen, en 2018, a moins de rapports sexuels que ses homologues des générations précédentes. Et personne ne nie qu’il y a un décalage avec la perception publique – la plupart d’entre nous pense encore que les autres font beaucoup plus souvent l’amour que ce n’est le cas en réalité.

Récession sexuelle

De nombreux experts associent ce déclin à une baisse du nombre de couples chez les jeunes. Depuis 25 ans, moins de personnes se marient et ceux qui le font sautent le pas plus tardivement. Au départ, beaucoup d’observateurs ont pensé que la baisse du nombre de mariages était liée à une hausse du concubinage.

Mais le pourcentage de couples en union libre n’a pas suffisamment augmenté pour compenser le recul des mariages : environ 60 % des adultes de moins de 35 ans vivent actuellement sans conjoint ou partenaire. Et un adulte sur trois dans cette catégorie d’âge vit chez ses parents. Ceux qui vivent en couple ont souvent plus de rapports sexuels que ceux dont ce n’est pas le cas – et évidemment, vivre chez ses parents n’est pas bon pour la vie sexuelle. Mais ça n’explique pas pourquoi les jeunes sont moins nombreux à se mettre en couple.

Au fil de nombreuses conversations avec des sexologues, des psychologues, des économistes, des sociologues, des thérapeutes, des intervenants chargés de l’éducation sexuelle, mais aussi avec de jeunes adultes, j’ai entendu de nombreuses théories sur ce que j’ai fini par appeler la récession sexuelle.

On m’a dit que c’était peut-être une conséquence de la culture dite “des coups d’un soir”, d’une pression économique écrasante, de la forte hausse du pourcentage de personnes souffrant d’anxiété, de la fragilité psychologique, du recours généralisé aux antidépresseurs, du streaming, des œstrogènes présents dans l’environnement à cause des plastiques, des taux de testostérone en chute, du porno sur Internet, de la popularité des vibromasseurs, des applis de rencontres, de la paralysie provoquée par le nombre excessif d’options, des parents trop présents, du carriérisme, des smartphones, de l’info en continu, de la surabondance d’informations en général, du manque de sommeil, de l’obésité.

Fléau moderne

On peut citer n’importe quel fléau moderne et quelqu’un, quelque part, sera prêt à y voir la cause des problèmes modernes de libido.

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