Plus de 50 ans, la « nouvelle » population à risque de VIH

Vincent Bargoin

Auteurs et déclarations

1er décembre 2014

Paris, France – Un chiffre publié voici quelques mois dans le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire n’a peut-être pas suffisamment retenu l’attention : il s’agit de la proportion de seniors parmi les personnes dépistées comme séropositives au VIH en 2012, 18%. Ce chiffre, en soi étonnamment élevé, est en outre en augmentation depuis 2003 (13%). La proportion de moins de 25 ans, 12%, est, elle, restée stable sur cette période [1].

 
Les jeunes pensent que c’est une maladie de vieux, et les vieux, une maladie de jeunes -- Pr Gilles Pialoux
 

On doit au laboratoire Janssen d’avoir exhumé ce chiffre : lors d’une conférence de presse organisée peu avant le 1er décembre, le laboratoire a annoncé son intention d’en faire un pivot de sa communication VIH/sida en 2015. On pensera ce qu’on veut du marketing. Mais cette campagne aura le mérite d’attirer l’attention sur la triple problématique d’une prévention, d’un dépistage et d’une prise en charge qui, chez les seniors, doivent être pensés spécifiquement.

La population concernée n’est pas marginale : le chiffre de 18% vaut pour la France entière, mais le Pr Gilles Pialoux (Hôpital Tenon, Paris), s’exprimant lors de la conférence de presse Janssen, a indiqué que pour les trois hôpitaux parisiens Tenon, Saint-Antoine et Pitié-Salpêtrière, les plus de 60 ans représentent 20% du recrutement, tandis que 43% des hommes et 51% des femmes ont plus de 50 ans [2].

Le risque est là, mais pas la conscience du risque

Les campagnes de prévention du VIH ont largement montré qu’elles savaient s’adresser à des populations spécifiques. Pourquoi pas les seniors ? L’attitude est bien sûr d’autant plus étonnante que ces campagnes, et grosso modo l’expertise en matière de VIH/sida, relèvent aujourd’hui d’une génération qui a elle-même atteint la cinquantaine.

« La télévision américaine diffuse des campagnes très fortes en direction des seniors », a indiqué le Pr Pialoux. Or, en France, « il existe des centres de prévention/dépistage pour les gays, mais aucun centre pour les très jeunes ou pour les seniors, alors que Roseline Bachelot en avait souligné la nécessité ».

Résultat : « les jeunes pensent que c’est une maladie de vieux, et les vieux, une maladie de jeunes ».

Pour illustrer ce que peuvent être les problématiques spécifiques des seniors, le Pr Pialoux a mentionné les problèmes d’érection associés à la mise en place du préservatif. « Faut-il des kits-seniors associant un comprimé de Viagra à un préservatif ? »

Une enquête réalisée pour Janssen par Opinion Way confirme en effet que les 50-70 ans continuent d’associer le risque au triptyque toxicomane/homosexuel/jeune, alors qu’ils sont eux-mêmes dans la prise de risque : parmi ceux qui déclarent plusieurs partenaires ces 5 dernières années, 37% n’ont jamais utilisé de préservatif, et 26% de temps en temps (respectivement 12% et 45% chez les 18-49 ans).

Clairement, le VIH n’entre pas dans les préoccupations des seniors, ni dans celles des médecins. Un autre chiffre est parlant : le diagnostic tardif (stade sida ou CD4 <200/mm3) est nettement plus fréquent passé 50 ans, où il concerne 42% des cas (25% entre 25 et 49 ans, 14% entre 15 et 24 ans).

Or, outre la perte de chances pour l’intéressé(e), qui dit diagnostic tardif dit charge virale élevée, donc risque important de transmission à l’intérieur de la classe des seniors. Et d’autant plus que « l’âge est lui-même un facteur de risque de transmissibilité », rappelle le Pr Pialoux. « Cette notion est connue depuis le début des années 1990 ».

Une prise en charge spécifique

Dernier aspect, la prise en charge des patients seniors. « A partir de 60 ans, l’âge impacte la prise en charge », souligne le Pr Pialoux.

 
L’âge est lui-même un facteur de risque de transmissibilité.
 

Les antiviraux susceptibles de provoquer ou d’aggraver des dyslipidémies sont naturellement à éviter, à un âge où l’existence d’un diabète et d’un risque cardiovasculaire n’est pas rare.

D’autres facteurs de risque prennent également de l’importance avec l’âge : le Pr Pialoux cite notamment le cancer du col ou le cancer du poumon.

Enfin, la déminéralisation osseuse accélérée chez les sujets VIH+, implique une attention particulière à l’ostéoporose chez les seniors. De même pour les troubles neurocognitifs.

Pour le moment « le suivi très particulier » des patients seniors est assuré par des spécialistes du VIH – à condition que ces patients soient dépistés, toutefois. Mais la part que représente cette catégorie de patients parmi les personnes VIH+ va aller en augmentant.

« Il est logique qu’avec le vieillissement à la fois de la population générale et de la population VIH+, les contaminations surviennent plus tard », résume le Pr Pialoux.

Or, « peu de gériatres s’intéressent à cette problématique », relève de son côté Fabien Sordet (Janssen).

Et avant même de penser aux gériatres et au suivi des patients dépistés, c’est à la prévention qu’il faudrait s’intéresser, et au dépistage, qui devraient l’un et l’autre être proposé à la population des séniors en gardant à l’esprit qu’il s’agit d’une population à risque comme les autres, et d’autant plus qu’elle s’ignore comme telle.

 

REFERENCES :

  1. Cazein F, Lot F, Josiane Pillonel et coll.Découvertes de séropositivité VIH et sida – France, 2003-2012. BEH 9-10, 1 er avril 2014.

  2. Conférence de presse du laboratoire Janssen.

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