Le sexe oral peu impliqué dans l'épidémie de cancers oro-pharyngés

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

19 juillet 2013

Le sexe oral peu impliqué dans l'épidémie de cancers oropharyngés

L'incidence des cancers oro-pharyngés liés au HPV augmente, les relations sexuelles orales sont-elles en cause ? Deux études semblent indiquer que non, rassurant ! 19 juillet 2013

Paris, France -- Coup sur coup, deux informations -l'une people, l'autre scientifique - ont relancé le questionnement sur le lien entre papillomavirus humain 16 (HPV 16), cancer oro-pharyngé et pratiques sexuelles. En effet, dans le même laps de temps, l'acteur Mickael Douglas attribuait son cancer de la gorge à sa pratique du « sexe oral », tandis que deux études, l'une présentée au congrès de l'ASCO[1], l'autre publiée ces jours derniers dans le Lancet [2], montraient des résultats en faveur d'une faible implication des HPV (supposément transmis lors de pratiques sexuelles orales) dans l'incidence croissante des cancers oro-pharyngés.

Comme les HPV se transmettent par voie sexuelle et que le HPV16 est oncogène, il est logique de se poser la question de savoir quel est le risque en cas d'infection du partenaire et quelle est la nécessité de modifier ses pratiques sexuelles orales ?

Quand la rubrique people croise l'actu santé

Il y a un mois, l'acteur américain, Mickael Douglas, a élégamment déclaré au Guardian qu'il devait son cancer de la gorge à la pratique du « sexe oral » comme disent les anglo-saxons. Une affirmation qui n'avait pas été du goût de sa femme, Catherine Zeta-Jones et de son ex-femme, qui se sont vus obligées de déclarer publiquement qu'elles n'étaient pas infectées par le HPV !

L'acteur de 68 ans a donc fait machine arrière et s'est rattrapé, plus tard dans la journée, en plaisantant lors d'une célébration de l'American Cancer Society sur le fait qu'il était devenu une sorte de réclame vivante (« poster boy ») du sexe oral, se justifiant car « chacun a envie de savoir l'origine de son cancer » et affirmant qu'il avait voulu en quelque sorte, « attirer l'attention sur ce type de cancer qui peut être prévenu et qu'il existe des vaccins pour les jeunes »…



Suivi prospectif de plus de 4000 hommes


Au début du mois est parue la vaste étude HIM s'intéressant à la survenue d'infections orales HPV chez les hommes dont les conclusions sont rassurantes.

« Aucune association significative n'a pu être retrouvée entre les pratiques sexuelles orales et l'acquisition d'HPV oncogènes après ajustement sur différents facteurs confondants » selon la chercheuse et première auteure de l'étude, Aimée Kreimer (National Cancer Institute, Bethesda, Maryland).

La HIM Study a inclus 4072 hommes n'ayant jamais rapporté de condylomes génitaux ou anaux, ni de diagnostic de cancers, de symptômes ou de traitement pour une infection sexuellement transmissibles (IST), HIV inclus. Tous avaient entre 18 à 73 ans, étaient issus du Brésil, du Mexique et des Etats-Unis. Le recrutement a été large de façon à inclure différents âges, comportements sexuels et risque d'infection.

A l'inclusion, les échantillons ont été récupérés après gargarisme et rinçage de bouche (rinse-and-gargle) et l'ADN, extrait, amplifié par PCR et génotypé. Les patients étaient revus tous les 6 mois lors d'une visite où ils complétaient un questionnaire (données socio-démographiques, consommation d'alcool, de tabac et pratiques sexuelles, nombre de partenaires , etc).

Des infections beaucoup plus rares en localisation oro-pharyngée


Au final, 1626 hommes ont été suivis sur 12,7 mois en moyenne. Résultats : après 1 an de suivi, 4,4 % des hommes avaient acquis une infection orale à HPV, 1,7 % un HPV oncogène, 0,6%, un HPV16 et 3, 4% un HPV non oncogène.

Mais de façon intéressante, ces infections orales étaient transitoires puisque la plupart avait disparu au bout d'un an.

L'acquisition d'une infection était plus élevée :

  • chez les hommes célibataires, divorcés, séparés ou veuf que chez ceux qui étaient en couple ;

  • chez les fumeurs et ex-fumeurs que chez ceux qui n'avaient jamais fumé ;

  • chez les bisexuels que chez les hétérosexuels ;

  • chez ceux qui avaient fait des études plus longues (16 années versus 12).

D'autres facteurs comme la consommation d'alcool, des relations sexuelles orales dans les 6 derniers mois, le nombre de partenaires n'ont pas été retrouvés comme étant associés à un risque élevé d'infection.

Les auteurs concluent donc que si les HPV sont à l'origine de cancers à différentes localisations du corps, l'histoire naturelle de la maladie diffère néanmoins d'un site à l'autre : l'acquisition d'infections orales à HPV apparait bien plus rare que les infections génitales, bien qu'elles semblent disparaitre au même rythme.

A noter : cette étude ne montre pas de recrudescence des infections chez les seniors comme d'autres essais, les auteurs proposent donc que, chez les plus âgés, ce ne soit pas l'incidence de l'infection qui soit plus élevée mais bien sa durée.

Une étude pilote chez des sujets avec un cancer oro-pharyngé à HPV


Une étude pilote, présentée à l'ASCO 2013, portait sur 166 patients ayant un cancer oro-pharyngé à HPV et 94 partenaires « durables ». Elle n'a pas retrouvé pas de risque accru d'infection à HPV après 1 an de suivi [2].

Un constat plutôt rassurant a déclaré le premier auteur de l'étude Gypsyamber D'Souza du John Hopkins Bloomberg School of Public Health à Baltimore qui a rapporté lors d'un point presse que le sujet était tellement angoissant qu'il en devenait parfois une cause de divorce. Précisons que l'âge moyen des patients était de 56 ans, probablement proche de celui des partenaires.

« Les couples qui sont ensemble depuis plusieurs années ont déjà probablement partagé plusieurs infections à transmission sexuelle. De fait, aucune modification de leur vie intime n'est nécessaire » indique le Dr D'Souza.

Cancers de l'oropharynx : une incidence en hausse


Un fait est sûr : ces dernières années, l'incidence des cancers de l'oropharynx a fortement augmenté. Le Pr Eric Deutsch de l'Institut Gustave Roussy l'affirmait à EuroCancer en 2011: « une proportion de plus en plus importante de cancers ORL, principalement de l'oropharynx (amygdale, voile du palais, base de la langue, vallécule), est liée à une infection à HPV, en l'absence d'intoxication tabagique ». Les virus HPV en cause sont les mêmes que ceux qui colonisent le col utérin, transmis par voie sexuelle. De fait, l'HPV doit être considéré comme « un facteur de risque de cancers oropharyngés indépendant de l'intoxication alcoolo-tabagique » [3].

Aux Etats-Unis, 30 % des cancers ORL seraient associés à l'infection HPV et cette prévalence est en constante augmentation. En France, on observe des données épidémiologiques comparables. Les auteurs de l'article du Lancet indiquent qu'aux Etats-Unis, Suède et Australie, le HPV16 serait même retrouvé dans plus de 50 % des cas [2]]. Par ailleurs, la prévalence des infections (et des cancers oro-pharyngés) est trois fois plus élevées chez les hommes que chez les femmes [2].



La petite étude présentée à l'ASCO a été financée par le Fonds de l'innovation John Hopkins et la bourse de prévention du Cancer Richard Gelb.
La HIM Study est financée par une bourse du National Cancer Institute (NCI), National Institutes of Health (NIH). L'un des auteurs ont reçu des bourses de recherche de Merck et GlaxoSmithKline et deux sont consultants pour Merck Sharp & Dohme sur les vaccins HPV. Les détails des liens d'intérêt sont consultables dans la publication.

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