Le porno rend-il les adolescents violents ? Pas évident

Dr Isabelle Catala

Auteurs et déclarations

26 février 2013

Le porno rend-il les adolescents violents ? Pas évident

Le lien entre consommation de pornographie et adolescents agresseurs sexuels est souvent évoqué sans qu'aucune réponse claire n'ait été formulée à ce jour. Il est temps d'étudier la question. 27 février 2013

Paris, France — « Cinq écrans par foyer. Onze ans : âge moyen de première exposition à la pornographie. Les nouvelles technologies d'information et de communication ont modifié l'approche adolescente de la sexualité. Quel sera l'impact de la consommation de pornographie chez les adolescents agresseurs sexuels ? La consommation de pornographie va-t-elle conduire au passage à l'acte ? Ou au contraire permettre de canaliser des pulsions ou des fantasmes sexuels ? Quelles sont les expériences sexuelles et amoureuses de ces adolescents consommateurs de pornographie ? ». Ce sont les questions qu'a posé à l'assistance le Dr Amélie Joffroy (CHRU Montpellier) à l'occasion du 11e congrès de l'Encéphale[1].

Le lien entre pornographie et agressions sexuelles n'est pas clairement établi


Aujourd'hui, les adolescents sont impliqués dans près d'un tiers des viols et attentas et dans la moitié des viols sur mineurs de moins de 15 ans (Ministère de la justice 2009). L'incidence de ces actes a été multipliée par 3 entre 1974 et 2006 et, de ce fait, c'est dans la tranche d'âge 13-16 ans, que le taux de condamnation pour faits de violences sexuelles est le plus important, par rapport aux autres crimes et délits.

Et une fois la peine purgée, le risque de récidive de ces adolescents est estimé de 8 à 30 % pour les actes sexuels et 16 à 54 % pour les délits non sexuels.

Même si instinctivement, il est facile de penser que la généralisation de l'accès à la pornographie par le biais des nouvelles technologies pourrait avoir influé sur cette augmentation des passages à l'acte des adolescents, le lien entre consommation de pornographie et agressions sexuelles n'est pas clairement établi. Certaines études laissent à penser que la pornographie pourrait influencer les adolescents les plus vulnérables [2]], mais d'autres apportent des résultats différents voire contradictoires [3].

D'autres facteurs de risque essentiellement sociaux


Il semble que d'autres facteurs de risque aient plus d'influence sur le risque de passage à l'acte : antécédents de victimisation sexuelle, intérêts sexuels atypiques, isolement social, abus ou négligences, anxiété et faible estime de soi [2].

Un travail mené en 2009 aux Etats-Unis [3] conclut à une faible corrélation entre exposition à la pornographie et agression sexuelle en mettant en avant une augmentation de l'accessibilité à Internet qui a été corrélée à une diminution du taux des viols dans ce pays. Les auteurs soulignaient aussi que ces données ne permettaient pas de conclure à un effet cathartique de la pornographie puisque c'est dans les médias en général que la confrontation à la violence a augmenté.

L'éducation sexuelle par les films pornos


La place de la pornographie dans le développement sexuel de la jeunesse augmente d'années en années.

Certes, les jeunes reçoivent à l'école une éducation sexuelle d'ordre « technique » (contraception, SIDA), mais, pour beaucoup d'adolescents le film pornographique a été la seule représentation de la sexualité humaine qui leur a été proposée avant la découverte d'une sexualité personnelle ! Il faut dire que 58 % des garçons et 45 % des filles ont vu leurs premières images pornographiques entre 8 et 13 ans.

Le film pornographique, utilisé comme vecteur de découverte de la sexualité, pose problème dans la mesure où il n'est qu'une métaphore de la réalité de l'acte qui met en scène une sexualité marquée par la perversité de l'acte.

Une dérive violente qui influe sur les ados vulnérables


En outre, depuis le début des années 1990, la pornographie a entamé une métamorphose nette : images chocs, plus violentes, actes sexuels déshumanisés, non-respect de l'altérité, humiliations… Cette nouvelle vague de la pornographie interroge sur les effets du contenu de ces images violentes chez les enfants et les adolescents.

En effet, l'adolescent vulnérable, cantonné dans son développement psycho-sexuel par son entourage familial serait tenté de se tourner vers la pornographie pour assouvir sa curiosité sexuelle. Le porno devient alors le principal vecteur d'information sexuelle et d'initiation à la sexualité. Cette exposition précoce et régulière interroge sur l'émergence de distorsions cognitives.

Il est encore impossible d'affirmer si la désensibilisation aux images, la banalisation de la violence dans les pratiques sexuelles peut favoriser le passage à l'acte violent.

Le Dr Joffroy se propose d'étudier l'impact de la pornographie chez des jeunes délinquants sexuels actuellement emprisonnés afin de préciser ce point. Elle suivra aussi leur évolution à la sortie d'incarcération dans le but d'analyser les déterminants d'une éventuelle récidive sur le mode violent, sexuel ou non.

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