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Handicap et sexualité: les accompagnants sexuels veulent sortir de la clandestinité

L’appétit sexuel des personnes porteuses d’un handicap déroute avant tout les familles qui se disent confrontées à un désir inattendu. Georg Drexel/RAM - stock.adobe.com

Souvent niée, la question de la sexualité chez les personnes en situation de handicap resurgit dans le débat public. Des associations espèrent un encadrement de la pratique par la loi.

«Chaque femme qui a vécu avec moi et qui m’a aimé a été traitée de perverse. Parce qu’avoir du plaisir avec un homme en situation de dépendance, dans la culture française, c’est inconcevable», raconte au Figaro Marcel Nuss, fondateur de l’Appas (Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel), coach de vie, conférencier et auteur de nombreux ouvrages sur le thème de la sexualité chez les handicapés. Lui-même lourdement handicapé par une amyotrophie spinale, il se bat pour que les relations sexuelles chez les personnes en situation de handicap ne soient plus perçues comme «anormales».

Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées, s’est prononcée en ce sens dimanche dernier en faveur de l’accompagnement sexuel, alors que, aujourd’hui, la loi française interdit cette pratique. «Ces assistants de vie sexuelle existent déjà en Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse. Allons voir comment ont été formées ces personnes», a-t-elle annoncé sur Europe 1.

En France, des associations dédiées au bien-être des handicapés militent depuis déjà plusieurs années pour qu’une loi soit votée afin de légaliser l’accompagnement à la vie affective et à la santé sexuelle chez les handicapés. Les demandes peuvent aller «de la relation purement sensuelle à la relation sexuelle» explique Marcel Nuss, «sachant que la séance dure au minimum 1h30 et en général 2-3 heures. Le dialogue a une place prépondérante, l’écoute est essentielle. Avant tout accompagnement, il y a toujours une rencontre préalable pour que les gens se définissent sur les limites et pour savoir s’il y a un feeling entre eux. Aucun des deux n’est contraint à quoi que ce soit, mais ça reste contractuel, l’accompagnement doit être payé».

«Le mythe de la reproduction du monstre»

«Si vous avez un handicap, vous n’avez pas de sexualité, vous êtes asexué» - «ce n’est pas possible d’être attiré par un corps déformé» - autant d’idées préconçues sur la sexualité des handicapés que la conseillère de l’association APF France handicap Aude Bourden tente de faire évoluer. Une incompréhension provoquée par un «double tabou» selon elle: celui de la sexualité et du handicap.

Tantôt perçus comme des anges, tantôt comme des démons, les personnes handicapées se disent oppressées par ces représentations leur niant tout désir sexuel: «soit on les considère comme des êtres purs, assimilés à des enfants (et donc sans pulsions sexuelles), soit il y a l’image du monstre, d’un corps déformé qui ne peut engendrer de désir chez l’autre».

«Nier qu’on puisse être sexué c’est nier d’être un homme et d’être digne», explique au Figaro Aude Bourden. Pour Marcel Nuss, c’est la peur de la différence qui entretient ce «mythe de la reproduction du monstre qui a des relations sexuelles». «L’idée qu’on a des relations sexuelles uniquement pour se reproduire est une idée encore forte dans notre société», acquiesce la conseillère santé de l’APF, «une idée qui prend probablement sa source dans la peur des parents de se retrouver à s’occuper d’un enfant dont leur propre fils ou fille ne peut assumer la responsabilité».

Outre ce «mythe de la reproduction du monstre» dont parle Marcel Nuss, la sexualité des personnes handicapées est également biaisée par le fait d’être considéré principalement comme un objet de soin: «ces personnes sont touchées uniquement lorsqu’il s’agit de leur procurer des soins», souligne Aude Bourden. «Avoir accès au corps d’autrui ou à son corps à travers l’auto-érotisation, découvrir le corps d’une femme ou d’un homme nu, apprendre la masturbation ou découvrir des zones érogènes sont des demandes récurrentes auxquelles l’APF tente de répondre», ajoute-t-elle.

Le droit au plaisir

«Je trouve ça hallucinant que les patients doivent demander l’autorisation au directeur pour avoir des relations sexuelles!», s’exclame Cybèle, ancienne travailleuse du sexe et aujourd’hui accompagnante sexuelle pour personnes dépendantes à l’Appas. «Il faut comprendre que ce sont des gens qui ont un handicap ET une sexualité!», insiste-t-elle.

Pourtant, bien souvent, ce besoin de vie intime chez les personnes handicapées n’est pas une chose évidente pour leurs proches.«Je me souviens d’une mère qui avait fait appel à nous et qui était complètement perdue lorsqu’elle a vu que son fils avait une érection pendant une séance de nursing» raconte Aude Bourden au Figaro. «Nous recevons beaucoup de familles qui se posent des questions et qui ne savent pas comment répondre aux demandes de leur enfant».

Une assistance clandestine

Les personnes handicapées faisant aujourd’hui appel aux accompagnants sexuels risquent d’être poursuivi pour proxénétisme et d’être pénalisés comme des clients ayant eu recours à la prostitution. C’est donc clandestinement que des associations s’organisent aujourd’hui en France pour répondre à ce besoin: depuis 2015, l’Appas, qui travaille avec des formateurs suisses et allemands, a reçu plus de 3000 demandes d’accompagnement sexuel, a suivi 600 personnes ayant exprimé ce désir d’intimité et a formé 80 personnes. 90% des demandes émanent d’hommes, et seulement 10% de femmes. «Sophie Cluzel veut lancer des enquêtes chez nos voisins européens pour voir comment ils forment des accompagnants, alors qu’on le fait sous son nez depuis mars 2015», explique au Figaro Marcel Nuss, le fondateur de l’Appas. De son côté, l’APF forme depuis longtemps ses accompagnants à travers l’association suisse «Corps Solidaires» et «CH(s)OSE».

«La question de l’accompagnement sexuel pose des questions éthiques, mais cette pratique doit être encadrée, c’est pourquoi l’APF a saisi le CCNE (Comité consultatif national d’éthique)», annonce Aude Bourden au Figaro. «On demande une exception à la loi, notre sujet n’est pas la prostitution, mais l’accès des personnes handicapées à la sexualité. Dans le cadre d’un service de mise en relation, on aimerait être dépénalisé». Ce serait donc la mise en relation qui serait problématique en France et non l’acte en lui-même, comme l’explique Fabrice Flageul, praticien en relation d’aides psycho-corporelles et également accompagnant sexuel: «Les auxiliaires de vie et les directeurs de centre ont peur d’être considérés comme des proxénètes. On est obligés d’organiser des visites privées en cachette, de trouver des stratégies».

Des soignants, des kiné-thérapeutes, des éducateurs dans le soin et des travailleurs du sexe usent ainsi du bouche à oreille pour se former et mener à bien leur activité. «Ce sont des formations assez longues, reparties sur plusieurs week-end dans l’année pour que les personnes puissent mûrir leur projet. On leur apprend comment manipuler un corps douloureux. L’assistant sexuel est complètement libre de refuser un certain nombre d’actes qu’il ne souhaite pas faire. Le but premier n’est pas la satisfaction de la pulsion sexuelle, le but est d’accompagner la personne dans sa sexualité» , nous apprend Aude Bourden. Mais si «l’objectif n’est pas le même que celui de la prostitution» selon elle, «la rétribution reste importante» car «c’est avant tout un service».

» À voir aussi - Handicapés: veut-on vraiment les inclure?

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142 commentaires
  • Hookinou

    le

    Cela aussi relève de l'intime et ne doit pas faire la une des médias, pour ces problèmes il existe du personnel médical qui peut renseigner les handicapés……. en toute discrétion !!!

  • merapi17

    le

    Ce qui m'inquiète, c'est qu'on fasse tout le buzz sur cette question qui est sans importance par rapport aux vrais problèmes des handicapés. Cela permet de faire oublier les insuffisances criantes de notre politique dans ce domaine: les familles obligées d'aller en Belgique pour faire accueillir leurs enfants autistes, l'impossibilité pratique d'utiliser les transports en commun, ... et la liste serait très longue.
    J’ai peur que l'aspect "croustillant" de cette proposition marginale focalise l'essentiel des préoccupations. Je serais étonné qu'elle soit considérée comme intéressante par la plupart des femmes handicapées qui doivent représenter statistiquement la moitié de la population handicapée et qui ont des soucis autrement prioritaires, y compris dans l'attribution des ressources financières.

  • Anastasie=anesthésie

    le

    une reconversion pour un candidat malheureux?

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